Le président américain Donald Trump à Bedminster (New
Jersey), le 8 août 2017. Il a menacé la Corée du Nord de "feu et de fureur".
REUTERS/Jonathan Ernst
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Le
stratagème imaginé par Kissinger et Nixon vise à faire croire que l'on est prêt
à commettre l'irréparable -en l'occurence, employer l'arme atomique- pour faire
plier l'ennemi.
Donald
Trump serait-il plus futé qu'il n'en a l'air? Sa promesse d'un déluge de
"feu
et de fureur" sur la Corée
du Nord, si elle poursuit ses menaces, a surpris et effrayé, à Washington
comme dans le reste du monde. En réaction, le régime de Kim
Jong-un, coutumier, lui, des provocations, a déclaré que le président
américain avait "perdu la raison" et présenté un plan
détaillé pour tirer une salve de missiles vers l'île
américaine de Guam.
Depuis son arrivée à la Maison Blanche, l'impulsivité de
Donald Trump a donné lieu à des spéculations sur sa
santé mentale, mais aussi sur sa capacité à jouer de cette image.
La possibilité qu'il ait repris à son compte, à
destination de Pyongyang et de Pékin, la "stratégie du fou" inventée
par Henry Kissinger a été souvent évoquée. "La Chine -l'un des rares pays
en capacité de peser quelque peu sur la Corée du Nord, est inquiète du
comportement irrationnel de Trump", expliquait mercredi Valérie
Niquet, spécialiste de l'Asie à la Fondation pour la recherche stratégique.
Le milliardaire lui-même se targue régulièrement d'être
imprévisible, un atout, selon lui, dans l'art
de négocier dont il a fait la promotion dans ses ouvrages.
La "Mad man theory"
Il est notoire que Trump et une partie de son entourage,
admirent la "Mad man theory" mise en oeuvre par Henry Kissinger,
conseiller à la Sécurité du président Nixon au tournant des années 1970. Il
s'agissait de convaincre le Nord-Vietnam que le locataire de la Maison Blanche
était prêt à commettre l'irréparable, c'est-à-dire à employer l'arme atomique,
s'il n'avait pas d'autre moyen de mettre fin à la guerre. Le message
s'adressait aussi, en pleine guerre froide, à l'URSS et à la Chine. Les
bombardements sur le Cambodge en 1969 auraient relevé de la même tactique,
constituant l'une des preuves de l'obsession anticommuniste de Nixon et de son
instabilité.
"Kissinger s'est ensuite flatté du succès de cette
stratégie, Ho Chi Minh ayant fini par se rendre à la table des négociations,
souligne Corentin Sellin,
agrégé d'histoire et spécialiste des Etats-Unis. L'impact du stratagème est
toutefois controversé. D'autres facteurs ont amené le dirigeant à accepter le
dialogue, et s'il s'est rendu en France pour signer les Accords de Paris, c'est
aussi parce qu'il était convaincu de parvenir à ses fins: un Vietnam du Sud
sans présence américaine".
Une comparaison qui ne tient pas
La comparaison entre Nixon et Trump est hasardeuse, selon
la plupart des observateurs. "Nixon voulait convaincre ses adversaires
qu'il était irrationnel, mais cohérent quand il s'agissait de calculer les
inconvénients de l'utilisation de la force", soulignent deux experts
américains dans Foreign Policy.
"Quel que soient ses torts, Richard Nixon, ancien
sénateur ayant passé 8 ans à la vice-présidence, était un homme d'Etat
chevronné, féru de politique étrangère", rappelle Corentin Sellin. Le
magnat de l'immobilier, novice en politique, lui, ignore tout du b.a.-ba.de la
doctrine nucléaire: interrogé pendant la campagne sur le principe de la "frappe
en premier" ou de la modernisation de la triade
nucléaire, sa réponse a pointé sa totale
ignorance.
"L'attitude de
l'administration Trump n'est pas imprévisible, elle est erratique",
tranche le journaliste spécialiste de stratégie Fred Kaplan dans Slate, "en raison de son ignorance et aussi parce
qu'il a échoué à bâtir une administration capable de compenser cette
ignorance". Des centaines de postes n'ont en effet toujours pas été pourvus
par la nouvelle administration, dont un
tiers de postes majeurs du département d'Etat.
Donald Trump avec le secrétaire d'Etat Rex Tillerson à la Maison Blanche, le 12 juin 2017.
Reuters/Kevin Lamarque
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Le lancement, à la surprise générale, d'une soixantaine
de missiles balistiques sur une base militaire en Syrie, après l'attaque
chimique perpétrée par le régime de Bachar el-Assad au printemps est une autre
illustration de cette inconsistance, assène le New York Times. Survenue après que l'entourage de Trump a
laissé entendre que la Maison Blanche s'accommoderait du maintien d'Assad au
pouvoir, elle n'a eu aucun effet concret et aucune suite. Et l'imprévisibilité
de Trump n'a pas eu d'effet dissuasif, renchérit Foreign Policy: pour dissuader avec certitude le régime
d'Assad de recourir aux armes chimiques, il vaudrait mieux que celui-ci juge
Trump prévisible, qu'il soit persuadé que toute nouvelle utilisation d'armes
chimiques serait suivie d'une réaction.
"Good
cop, bad cop
"?
Le président américain et son entourage seraient-ils plus
convaincants au jeu du "good
cop, bad cop",
avec Trump dans le rôle du "méchant flic", et le secrétaire d'Etat
Rex Tillerson du "bon". "Je ne pense pas qu'il y ait une
quelconque menace imminente", a déclaré Tillerson, mercredi après les
propos incendiaires de Trump. Quelques jours plus tôt, il avait assuré que les
Etats-Unis ne cherchaient pas l'effondrement du régime de Kim Jong-un. Pour
Corentin Sellin, "les dysfonctionnements à la Maison Blanche tiennent plus
de la cacophonie que de la répartition des rôles". Le discours sur
"le feu et la fureur" était d'ailleurs complètement improvisé, a
révélé le New York Times. Les notes que Trump tenait en main
concernaient la crise
des opioïdes...
"Trump agit en solo, il tweete et vocifère comme s'il
n'avait aucune contrainte, sur la Corée comme dans les autres domaines",
poursuit Corentin Sellin. Et ensuite, son administration "rame" pour
recoller tant bien que mal les morceaux"... Avant qu'il ne recommence:
juste après les mots apaisants de Tillerson, Trump a retweeté un message de Fox
and Friends indiquant que les forces armées basées à Guam étaient prêtes à se
battre dès "cette nuit".
Résultat, constate le Washington Post, Trump risque surtout de passer pour un
fou auprès de ses propres concitoyens. Un sondage CBS publié mardi montre que 6
Américains sur 10 considèrent avec inquiétude sa capacité à gérer la crise
coréenne. Surtout, poursuit le quotidien, pour jouer au jeu du "good cop, bad cop", il faut que la
personne visée "soit convaincue que le bon flic a de l'autorité sur le
méchant flic ou, au moins, une certaine influence sur lui". Or, tous les
observateurs de la Maison Blanche ont constaté que Trump n'est que très
modérément réceptif aux conseils qui lui sont prodigués.
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